bla bla

"Miroir des excès et des manques de son époque, l'histoire des hôtels s'avère inséparable de l'histoire des sociétés et chacun d'entre-eux depuis sa construction, ses remaniements, ses changements de destination et parfois sa destruction correspond à un moment clé du passé ou de l'avenir qu'il domine de ses ors. Car le destin d'un hôtel ne lui appartient jamais en propre. Crises économiques, guerres, progrès industriels, mode et concurrence en font la proie d'un monde changeant où son arrogance en fait une incontournable cible. Car rien n'est plus fragile qu'un palace dont l'économie ne peut résister à la moindre crise, d'autant qu'à l'instar des casinos ils se démodent aussi vite que les robes en taffetas". ( Bruno Delarue-"Les bains de mer sur les côtes françaises" p 78- ed Terre en vue).

DE 1945 A NOS JOURS

 L'indemnisation des dommages de guerre (1945-1950)

Après la Libération et la restitution de l'hôtel à son propriétaire la société l'"Écluse" va s'ouvrir la  longue et complexe période de l'estimation et du versement des dommages de guerre.

Ces dommages de guerre étaient en réalité de deux catégories distinctes : La première couvrait les dommages par fait de guerre. Il s'agissait des conséquences directes des combats comme les bombardements, les assauts etc sur le bâtiment. La seconde catégorie couvrait elle les dommages par fait d'occupation. Pour un hôtel il s'agissait des dommages subits par les équipements hôteliers (literie, mobilier, batterie de cuisine, argenterie, vaisselle etc) nécessaires à l'exploitation commerciale de l'établissement.    
Cette distinction est très importante à garder en mémoire pour comprendre les longues discussions qui vont s'engager entre le propriétaire et les autorités chargées de l'indemnisation.

La société l’Écluse, après avoir fait effectuer des travaux d'urgence afin de sécuriser son immeuble va faire estimer en 1945 par les architectes Émile Guisnel et Alexis Daniel le coût de remise en état de l'établissement. Les estimations chiffrées présentées par ces architectes s'élèvent à la pharaonique somme de 17 millions de francs de 1945 !

Pour ce qui concerne les dommages par fait de guerre il est évident que l'hôtel a subit de gros dégâts lors du bombardement de Dinard en août 1944. Deux bombes sont tombées à proximité du "Gallic", l'une bld Féart criblant la façade Est d'éclats et l'autre devant la rotonde. Divers obus sont également tombés sur l'hôtel sans exploser au 4ème et au 6ème étage notamment.
Les tirs des batteries anti- aériennes installées sur le toit terrasse ont provoqué selon les experts une déformation de ce dernier. On peut aussi penser que ces tirs ont eu des conséquences dommageables sur les intérieurs de l'hôtel par les vibrations propagées par la structure en poutrelles de ciment armée de l'immeuble.

Le jardin nord a été en grande partie détruit et rendu inutilisable  du fait de la construction des ouvrages de défenses qu'il est impossible de démolir.
Ces dommages sur le gros œuvre sont dans l'ensemble pris en charge. Cependant les autorités s'appuyant sur l'inventaire fait par l'armée française en 1939, vont par exemple refuser de prendre en charge le ravalement qui était déjà en mauvais état lors de la déclaration de guerre.

Pour ce qui concerne les dommages par fait d'occupation il va en aller tout autrement. En effet les estimations qui avaient été faites par les architectes de la société propriétaire partaient du principe que l'exploitation hôtelière allait reprendre son cours normal. Or il n'avait apparemment jamais été dans l'intention de la société l’Écluse de rouvrir l'hôtel dont l'exploitation était largement déficitaire dans l'immédiat avant guerre où elle envisageait déjà son lotissement en appartements.

Les mémoires présentés par les architectes du propriétaire s'appuyaient en particulier sur le récit de monsieur C...employé d'hôtel déjà évoqué, récit qui mettait principalement à la charge de l'armée l'allemande, l'ensemble des dégradations des installations hôtelières. 

Or le récit qu'il livre de cette période paraît sur certains points bien peu crédible et doit surtout être contextualisé. A titre d'exemple on peut citer le matériel des cuisines détruit ou volé par l'occupant selon lui . On peut douter de ce fait, car l'occupant utilisait très certainement ces équipements pour nourrir les hommes de troupe et on ne voit donc pas l'intérêt qu'il aurait eut à les détruire.
Il convient aussi de garder en mémoire que les hôteliers  d'une manière générale avaient à juste titre dès 1939 mis à l'abri une partie de leurs équipements les plus coûteux comme l'argenterie, les batteries de cuisine en cuivre ou même la "cave". On se souviendra de ce grand restaurant parisien dont la partie de la cave renfermant les bouteilles les plus précieuses avait été murée et ainsi dissimulée à l'occupant.


Enfin, dans la période très trouble qui suivra l'immédiate Libération, il paraît aujourd'hui raisonnable de penser qu'en plus des exactions de la soldatesque des trois armées qui occupèrent l'hôtel, une partie des vols et dégradations résultaient aussi très certainement des nombreux pillages de la "faim et de la vengeance" perpétrés par des civils après la fuite de l'occupant.

Les autorités chargées de l'indemnisation  devant le montant très élevé des sommes réclamées au titre des dommages de guerre vont envoyer une inspection sur place le 27 janvier 1948. La conclusion est sans appel. L'exploitation hôtelière étant abandonnée et l'immeuble appelé à être loti en appartements, les équipements nécessaires à cette dernière ne seront pris en compte au titre de l'indemnisation que partiellement .

Les expertises et contre-expertises se succéderont jusqu'en 1950. La société l’Écluse essayant par tous les moyens d'obtenir un montant d'indemnisation plus élevé. Elle ira même jusqu'à inclure dans le 1er règlement de copropriété des projets hôteliers assez étranges comme l'ouverture d'un restaurant dans la rotonde alors qu'elle interdit d'une manière générale ce type d'activité dans la future copropriété ! On le voit tous les moyens étaient bons afin d'obtenir d'avantage.

  Le lotissement (1948-1950)

Le sort du Gallic Hôtel est définitivement scellé le 9 juillet 1948, par le conseil d'administration de la Société « L’Écluse » présidé par Monsieur André Maisel, en présence de messieurs Hazan, Petit et Blum, qui décide de le vendre en appartements, mettant ainsi fin à une exploitation hôtelière de douze années seulement.

Lors du ravalement de 2013, on se rendra compte que les réparations du gros œuvre entreprises à cette époque en vue de l’allotissement en appartements étaient de très mauvaise qualité. Les parties de la façade endommagées par les bombardements n'ayant pas été reféraillées mais simplement comblées avec des matériaux hétéroclites qui provoquèrent une instabilité récurrente du ravalement durant plusieurs décennies. On peut dès lors légitimement douter que la totalité des dommages de guerre touchés par la société l’Écluse aient été réellement affectées aux travaux de remise en état du gros œuvre.

Le lotissement est confié à l'architecte Alexis Daniel qui pour se faire, procède au relevé des plans des étages que nous possédons aujourd'hui. Il créera également la série des six boutiques du rez-de-chaussée dont une partie dans le salon de lecture de l'hôtel et le "petit restaurant". La salle à manger sera épargnée et constitue de nos jours, avec une grande partie de son décor originel intact, l'espace d'exposition « Pablo Picasso » à l'arrière de l'office du tourisme. La galerie fumoir qui avait été conservée sera détruite par la Ville de Dinard propriétaire des lieux qui la remplacera dans les années 80 par une salle de réunion sans âme.  La mise en vente commence fin 1948.

Vue du "Gallic" fin des années 40.
Les affiches de mise en vente sont visibles sur la grille
et les deux piliers du portail.
(source : collection particulière)
Le prix de vente des lots constitués d'une ou plusieurs chambres de l'hôtel selon la demande est élevé. Bien situé en bordure de plage cette immeuble moderne n'a en effet que vingt ans. Ainsi à titre d'exemple il faudra débourser 575.000 francs de 1949 pour un appartement 120 m2 constitué de quatre chambres d'hôtel unies donnant entre boulevard et cour intérieure. Le salaire net annuel moyen d'un cadre supérieur est alors de 7000 francs, d'un cadre moyen de 4000 francs et de 2500 francs pour un employé.
Les premiers occupants de l'immeuble, appartiendront par conséquent en grande majorité aux bourgeoisies rennaise et parisienne.

Les premiers copropriétaires resteront très attachés à la vocation hôtelière originelle du bâtiment donc, à son passé. Les correspondances qu'ils échangent avec Alexis Daniel sont à ce sujet très éclairantes. Elles portent par exemple sur le rétablissent du standard téléphonique de l'hôtel, sur la nécessité d'engager deux liftiers d'ascenseurs pendant « la saison » etc.


En-tête de l'un des premiers syndics de l'immeuble


Vue du "Gallic" dans les années 50.
Seul subsiste un des deux piliers du portail, l'autre ayant été détruit 
pour laisser le passage aux autocars de la compagnie "Lancien" 
qui a transformé le rotonde en gare routière et le jardin en parking.
A droite la villa" Moulton" qui sera détruite en 1964  
pour faire place au parking Vernet
(source : collection particulière)

Vue du "Gallic" dans les années70
Seul subsiste le mur d'enceinte du jardin.
L'environnement végétal originel "Gallic"a totalement disparu
pour faire place au parking Vernet
(source : collection particulière)



Cet attachement des copropriétaires au passé de l'immeuble qui perdurera, a eu une conséquence très positive sur la conservation des intérieurs et de ses ascenseurs en particulier.

Ainsi lorsqu’il fallu mettre en conformité ces derniers, restés quasiment dans leur état de 1927, avec la loi Robbien en 2010, la copropriété fit le choix de la préservation. Sous l'autorité de l'Architecte des Bâtiments de France, la société TIB de Rennes a crée et réalisée une gaine d'ascenseur entièrement transparente, afin d'assurer la sécurité, sans pour autant modifier l'aspect visuel initial. Les cabines et les ferronneries seront restaurées à l'identique.

Cette restauration sera récompensée en 2017 par la Société pour la Protection des Paysages et de l'Esthétique de la France (SPPEF) qui lui attribuera le premier prix de son concours du " second œuvre".



Un autre chantier important de deux ans s'est ouvert en 2013, celui de la restauration des façades qui a obtenu le soutient de la Fondation du Patrimoine. Ce chantier, conduit par le cabinet Gouronnec, a demandé une longue préparation, en collaboration avec Monsieur Erwan Savin, représentant du service territorial de l'architecture et du patrimoine d'Ile et Vilaine, spécialiste de l'architecture du XXe siècle. Le béton altéré par le temps a été entièrement repris. Ces travaux nécessiteront l'emploi d'environs une tonne de mortier. L'immeuble a retrouvé son « habit d'origine », avec une couleur « jaune Togo » pour les murs et le rétablissement de la polychromie du dernier étage, dont le fond et les plafonds des loggias ont été repeints en « rouge Estérel » comme lors de la construction.

Le Gallic Façade Mer - 2015
(cliché Michèle Fleury soumis à conditions d'utilisation et de reproduction)







Façade boulevard Féart restaurée

Cette restauration a également été l'occasion de redécouvrir la couleur bleue qui était celle des inscriptions qui figuraient sur les murs de l'hôtel, indiquant le bar ou le restaurant par exemple. Cette couleur sera de nouveau utilisée aux même fins.





Inscription ancienne "afternoon tea" datant de l'exploitation en hôtel

En 2017 la copropriété va entamer la restauration des intérieurs de l'immeuble. Le but premier de ces travaux va être de restituer comme cela a été fait pour les façades, les couleurs d'origine  ou tout du moins dans certains cas un état ancien.

La première phase de restauration concernera en 2018 l'ensemble du "service", c'est à dire la partie de l'hôtel où évoluait le personnel. Les couleurs purent assez facilement être retrouvées sous les couches de peinture successives car cette partie de l'immeuble avait fait l'objet de peu de travaux depuis 1948. Ainsi les murs ont été enduits dans leur partie haute par l'entreprise Rocherullé et Ranson d'une peinture à la chaux de couleur jaune tournesol, la partie inférieur peinte dans un ton de gris et les boiseries d'un ton de gris plus soutenu.

La seconde phase en 2019 a concerné la restauration du hall. La encore après un grattage minutieux des murs et des boiseries, les couleurs d'origine a pu être retrouvées et restituées par la même entreprise. L'intégralité de l'éclairage originel provenant des corniches en staff a été également rétabli par les établissements Pougets. L'ambiance lumineuse des ampoules à filament a pu être retrouvée grâce à l’utilisation de rampe led qui imitent leur luminescence.

Vue du hall après restauration en 2019




 
Vue du hall restauré en 2019


La dernière phase de restauration concernera l'escalier et les couloirs qui à eux seuls mesurent plus d'un kilomètre de long !

La Ville de Dinard a pour projet la restauration du cadre végétal de l'immeuble qui en disparaissant au fil des ans, en a brouillé en grande partie la lecture architecturale . Elle envisage en particulier la création de jardins sur  l'emplacement de ceux du Gallic Hôtel.

La première reconnaissance officielle de l'intérêt architectural de cet immeuble interviendra lors de son entrée dans l'inventaire des « 400 villas de classée de Dinard » sous l'impulsion de Monsieur Mallet, alors maire de Dinard. L'immeuble figure depuis 1996 à l'inventaire du patrimoine culturel du Ministère de la Culture dressé, pour l’Île et Vilaine, par Véronique Orain. Le « Gallic » fait enfin l'objet de références bibliographiques nombreuses. La dernière en date est celle de Philippe Bonnet et Daniel Coëdic dans leur ouvrage consacré à l’architecture du XXe siècle en Bretagne.

L'immeuble ainsi que ses intérieurs sont inscrits au titre des Monuments Historiques depuis le 3 octobre 2019. 




Le « Gallic » puisque c’est désormais son nom, est devenu au fil des ans une sorte de « grande famille » où les appartements passent en grande majorité de générations en générations, bien que ce dernier phénomène soit aujourd’hui moins fréquent. Bien sur comme dans toutes les familles il y a de bons et de mauvais moments, mais on peut dire qu’il existe un « esprit Gallic ». Cet esprit se traduit, entre autre, par un lien très fort au bref mais prestigieux passé de l’immeuble. On habite pas ce lieu par hasard, mais par choix fait, généralement, sous le charme de son atmosphère très préservée et ce malgré la grande incompréhension que suscite encore parfois son architecture …....


Étiquette de valise vers 1927
(source : collection particulière)

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire